24h d'Albi (21/22 octobre)

Amis Taras, sachez-le: un 24h reste une épreuve très particulière. Et quelque soit votre performance sur 10km, semi-marathon, marathon, 100km, ultra-trail. Rien ne vous garantit le succès sur ce type de course. N'ayant aucune marque sérieuse sur les différentes distances que je viens de citer, c'est en pure décontraction que je me rends à Albi, afin de récupérer mon dossard au petit matin.

Les sacs sont déposés dans la zone coureurs. Le gâteau semoule, préparer "avec amour" par Yannick, trône en bonne place sur la table qui m'est attribuée. Je serre la "pince" de quelques têtes croisées sur de précédents 24h. Eux ont fait du chemin depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. D'ailleurs certains ont revêtus leurs plus beaux habits. Sur leurs t-shits, je lis tour à tour, 48h de Royan, 6 jours de France, Sparthatlon, Trans-Gaulle. Tu comprends que pour ces gonzes, un 24h c'est du pipi de chat! Une chose est sûre, ici tu te sens en famille. Tout le monde est bienveillant avec son voisin, et les bénévoles sont chaleureux à souhait, et dieu sait que ça comptera durant la course.
A 30min du coup de canon, je me sens étonnamment détendu, d'autant que mon regard ce porte sur "un cousin Tara" tout droit venu des Landes. Le type est charmant et un vrai lien se créée entre nous. En général, il fait du trail montagne en sandales, plutôt côté Pays Basques. On papote, on papote, et voici que le départ est donné.
Les premiers partent comme des malades. Anthony (le prénom du landais) et moi partons prudemment en serre-file. Il me donne envie de courir pieds-nus. On échange sur nos expériences minimalistes et c'est ainsi qu'est bouclée la première heure. Et comme on court pile-poil à la même allure, on se dit lui et moi qu'on pourra faire un bout de chemin ensemble. 2 heures dans les jambes et tout va bien pour moi. Je m'alimente et m'hydrate correctement. Un seul truc me tarabusque: je n'ai pas encore pissé. Et ça, je le sais par expérience, c'est pas bon... Du coup, je me force à boire davantage et au prochain tour c'est pause pipi. Fausse alerte.
Il fait bon sur ce circuit. Le souffle est long, les pulses basses, je commence à être chaud. On allonge un peu la foulée histoire de pas s'endormir. Au tableau d'affichage, mes temps de passage sont bons, conformes à ce que j'avais discuté la veille avec Yannick. Je suis vraiment en confiance et me dis même que je peux faire pêter un score ce weekend.
Mais je déchante vite alors que la 5ème heure pointe son nez. Je commence en effet à ressentir des échauffements au niveau des petits orteils. Je règle de laçage et ça passe.
Je passe du temps à prendre soin de mes petits petons et ça va beaucoup mieux. Chaque orteil retrouve sa position naturelle. Il est bientôt 19h et on se dit qu'on mériterait bien une petite binouze. Promis Monsieur de Président c'est le seul dopant que j'ai absorbé durant la course! Au tour suivant, une mousse bien fraiche nous attend. Je l'accompagne d'amandes et noix de cajou (je recommande les noix de manière générale en ultra).
20h, nous avançons toujours en retenue lorsque mon nouvel ami Anthony se plaint de douleur juste derrière le genou. Comme le landais est dur au mal il se dit que ça va passer et qu'un massage au baume du tigre aura raison de ce "bobo". Que néni... Le mal s'installe et s'aggrave même à tel point que le pauvre malheureux n'a d'autre choix que d'abandonner.
A peu près au même moment le speaker annonce un nouvel abandon, celui du SEM qui même un train d'enfer à tout le monde depuis le début (3h10 au marathon). Les spécialistes du circuit se marraient d'ailleurs. Car sur ces mêmes bases et le temps stratosphérique dans lequel il a aussi pulvérisé le 100km, le gonze allait ni plus ni moins pulvériser le record du monde détenu depuis 1998 par un certain Yiánnis Koúros, rien que ça!
Mais à ce moment précis de la course, j'en ai très égoïstement rien à battre. Car moi, coureur lambda, je viens de perdre mon métronome et un super compagnon pour la nuit qui s'annonce déjà assez pénible (premières goûtes, petit vent du nord bien glacial). Faisant contre mauvaise fortune bon coeur je décide d'écouter un peu de musique, histoire de me changer les idées. Mon iPod refuse de jouer la moindre note. Il est comme moi, bien vieux et à vrai dire en assez mauvais état. La mouise s'installe et je commence pour la première fois à cogiter alors que tout se passait à merveille jusqu'à présent.
21h00 sonne. J'ai passé un bonne heure "à blanc", surtout que lorsque j'essaie d'attraper un nouveau train j'accroche de vrais lièvres ou de belles tortues (plus lentement que Nono oui ça existe). Rien qui me rende la foie pour avancer. Mais moi aussi j'ai de belles références chez l'ami Scott Jurek. Et j'ai compris ce qu'il appelle "le paradoxe des longues distances"..." c'est mettre un pied devant l'autre et de recommencer en ignorant presque tout le reste". L'heure qui m'amène ainsi à "la bascule horaire" n'est qu'un souvenir. Je n'en ai plus aucun souvenir. J'étais ailleurs, en train de rêver peut-être, en tous cas complètement déconnecté de toute réalité. L'annonce "mi-course", hurlée au micro des officiels, parvient tout de même à me sortir de cette torpeur.
22h00 retour à la réalité. J'ai une distance pourrie au compteur, mais pas trop car si j'arrive juste à avancer ainsi (entre 5-6km/h)  je dois pouvoir approcher les 120km, ce qui serait juste délicieux. Me voici revigoré. Je revois ma stratégie d'avant-course où je m'étais fixé de faire des micro-siestes de 15-20min, et ce toutes les 2h, de façon à tenir le coup toute la nuit. Première séance. Que c'est bon de se réveiller au son de "ça y est 15min vous avez bien dormi?". Le bonhomme repart d'un bon train, mais uniquement en marchant pour ménager un peu les organismes et valider l'allure de marche. Sauf erreur de calcul j'ai bon. Je continue à boire soupe chaude et manger un peu solide (noix cajous, gâteau Yaya). La piste commence à se vider, surtout lorsque la pluie s'installe durablement autour du stade. Seuls les guerriers sont en lisse. J'en suis et ça me rends super fier de moi à ce moment de mon "voyage au bout de la nuit" à moi.
00h00, deuxième pause. Il pleut dru sur les tentes coureurs et il commence à faire bien frisquet. Mais bon, je viens de faire un brin de toilette, j'en enfilé une première couche et le GoreTex tout fluo avec le logo de la FFCT collée au cul!!! C'est pas carnaval mais presque: un tarahumara au pays des cariocas en quelque sorte! Je replonge pour une seconde sieste réparatrice à souhait. Et c'est encore une voix toute douce qui m'extrait de cette parenthèse de course. Je me donne un gros coup de pied au cul car dehors la météo a empiré durant mon absence de 15min. Pas le temps d'éviter les flaques. Mes pas se posent au plus direct. Les rescapés de la nuit se saluent, s'encouragent d'un courage ou d'un simple regard qui dit tout (il y'a 4 étrangers engagés). La nuit s'étire encore un peu plus ainsi et je me traine bon an mal an jusqu'à 2h00 du mat' et quelques 80km dans la besace. L'objectif des 120km reste toujours à porté. Surtout qu'aucun bobo n'est à déplorer.
C'est tout heureux que je m'installe sur la siège qui m'attend toutes les 2h et que je prends une nouvelle part du gâteau Yaya. Mais alors que j'installe le petit rituel qui me sert à plonger dans un sommeil extrême en moins d'1min, je suis pris de grelottements. L'accompagnatrice me voyant trembler s'approche et me tend une couverture de survie. Et là tout à coup, j'ai trop chaud, je suis pris de vertiges, j'ai même envie de vomir. J'arrive tout juste à lâcher un "je vais m'évanouir" que déjà les secours sont à mes côtés et m'extraient jusqu'au poste à 3 mètres de là. On me prend les constantes: tout est ok. On m'explique alors que la couverture de survie à eu sur moi un effet connu mais peu fréquent: remonté trop rapide en température. La personne qui m'a pris en charge me conseille de reprendre mes esprits et de profiter du lit de camp le temps que je reprenne des forces et que je puisse envisager de reprendre la course. Je me souviens avoir dit " oui, 15min ça devrait suffire". Lorsque je re-ouvre les yeux je me sens super en forme. Tu m'étonnes Marcel, je viens de pioncer 4h!!!!
"Adieu chèvres, cochons". Tel Perrette, je pleure mes 120km évanouis le temps d'un (gros) clignement d'oeil.
Plus que 4h de course. C'est le moment où tu sais que plus rien ne peut t'arriver. Et c'est surtout pas le moment d'abandonner. Alors je déplie des jambes devenues bien rigides après une si longue coupure et j'avance péniblement les 200 premiers mètres. C'est ça aussi le miracle de l'ultra dans toutes ses disciplines et la beauté de la mécanique humaine. Après avoir autant enduré, tu trouves encore des ressources pour aller plus loin et... trottiner (courir serait exagéré même si je me souviens avoir fait 3 tours à 8-9km/h). Je ne serai pas venu pour rien à Albi si j'arrive finisher de mon 4ème 24h en plus de 100km.
Objectif rempli à 1h du bang final. Je ne veux plus aller gratter quelques km de plus. Je discute le bout de gras avec d'autres coureurs au ravito et laisse s'égrainer les minutes jusqu'à ce que les officiels annoncent le rituel de la 'pause de la marque'. En l'occurence c'est un petit morceau de bois avec ton numéro de dossard que tu poses là où tu décides de t'arrêter. Un tour de plus et le bang final retentit. Ca y est c'est terminé: contrat rempli!
 
Maintenant, un peu d'analyse à chaud:
-- Equipement pompes à revoir d'urgence si je veux envisager un nouveau 24h pour performer cette fois (j'ai déjà été consulter le calendrier 2018)
-- Avoir perdu Anthony si tôt dans la course. Avec lui la nuit aurait été assurément différente
 
++      Bonne gestion alimentation
++      Mental solide qui m'a permis en permanence de revoir mes objectifs de départ à la baisse sans pour autant prendre une trop grosse claque à chaque fois.
++      Si certains d'entre-vous savent de quoi je parle, j'ai eu l'impression de faire de la marche contemplative
+++    L'autre grand paradoxe de ce genre d'aventure c'est que tu te sens vraiment vivant. Je ne sais pas comment décrire ça autrement
++++ J'ai fait de supers rencontres, mais c'est aussi forcément le cas sur ce genre d'épreuve atypique
 
Enfin, merci à tous pour vos encouragements que j'ai découvert après course et qui m'ont énormément touché!