Mon objectif principal de cette année était l’échappée belle, 155km 11600m de D+. Le principe est de traverser le massif de Belledonne du sud au nord.
La prépa se passe bien sauf que j’avais des vieilles plaques en métal dans la jambes à faire retirer en octobre, séquelle de ma fractures de l’an dernier. La reprise trop rapide en me concentrant sur ce point faible m’a fait oublier l’autre jambe, sur laquelle je me fais une belle entorse en décembre.
Les bobos réparés, le volume d’entraînement reprend, le rythme aussi grâce aux supers séries du mardis soirs.
La première course se passe moyen, c’était l’intégrale des gorges du Tarn, 100km, roulant, 4600D+. On doit prendre une navette au milieu de la nuit pour aller à quézac, je suis déjà fatigué au départ. Faute de rythme, faute d’hydratation, faute d’alimentation, bref je cumule les emmerdements parceque je suis pas réveillé. Je finis, à la peine, 110e/223 à Millau et c’était un très beau cadre pour courir.
Deuxième course ultra01, 170km, roulant également, 8000D+. Dans la nuit, ça commence à pleuvoir sévère, les sentiers deviennent des ruisseaux, le balisage s’écoule dedans, je rejoins un ravitaillement grâce au GPS. La course est arrêtée par l’organisation. Je me met au max au sec, sauf les pieds car dans le sac je n’avais pas de quoi. La couverture de survie que je trimballe de sac en sac depuis 10ans était toute pourrie, ça m’apprendra a pas vérifier le matos. Il fait froid et humide. Au bout de 5h on peut repartir mais je ne sens plus mes pieds ni mes chevilles, complètement engourdis par le froid. La nouvelle tombe, dans l’ultra-trail des hauts-griffes à 200km de là, 1 mort et 2 blessés dans un état critique. Je rends le dossard (après 50km) en repensant à ma fracture de l’an dernier.
Troisième, l’ultra du Val d’aran, 163km, moins roulant (10000 D+). Bon au début c’était cool, des japonais, des brésiliennes, des vietnamiens, des suédois, un peu de toutes les nations, sauf… que l’ambiance est pas top, on rigole pas trop, ils se prennent tous au sérieux avec leurs machins UTMB mais bon.
On monte vers une crête, d’en bas je vois l’orage non loin de là. On demande au bénévoles. »no problemo » »oui on peut y aller sans danger ».
Bon, sur la crête on a pris la foudre, en plein milieu de la nuit on voyait comme en plein jour, le vent empêchait de courir droit et les poids plumes étaient obligés de se mettre en boule pour pas s’envoler, une grêle fine tape sur le côté et fouette mon oeil gauche. C’était vraiment la merde. Je passe la crête de 14km le plus vite possible et en redescendant un bénévole m’apprend que la course est arrêtée définitivement. Je lui répond ‘trop tard, vous avez pas géré’ et j’ai été de loin le plus aimable de mon groupe.
Donc quatrième course, objectif principal, l’échappée belle. Le massif de Belledonne est le seul massif des alpes non traversé par un grand axe routier. Sauvage, nature, montagne, entre 2500 et 3000m d’altitude quasi toute la course, du dénivelée (11600), du km (155), tout pour me plaire.
Je pars donc l’avant-veille du départ dans les alpes. Le départ de ma vague est à 6h du mat, une navette part d’Aiguebelle (l’arrivée) jusqu’à vizille (le départ) à 3h30 du mat. Je me couche donc à 15h. Il y a trois vagues de départ, 5h, 5h30 et 6h.
Le départ se passe bien, avec mon père, c’est surtout une grosse montée, de 300m d’altitude jusqu’à la croix de Belledonne à presque 3000m.
Puis quelques cols et là je comprends que le paternel ne va pas bien. Je le laisse donc et commence ma route seul.
Au final je me fais un pote pyrénéen oriental, et on descend en se tirant un peu la bourre, je lui parle du cailloux ariégeois et lui dit que les descente ici sont roulante, ce qui n’est pas l’avis général et qui énerve les locaux. La descente va jusqu’à la première base de vie du Pleynet au 68e km. La nuit tombe juste avant. J’y croise pas mal de gens de la première et de la deuxième vague de départ. Je mange un bout, je dors 30 minutes et je repars.
Là on passe des petits cols de nuit, c’est sympa. Un petit ravito et on monte au col du moretan. 1400m de D+ en très peu de km, semi-rando avec des petits passages en semi-escalade. Je peine avec les yeux qui se ferment et le corps qui réclame sa nuit, le froid qui empêche de faire des siestes de plus de 5 minutes, c’est pas la meilleure partie de la course. Arrivée au col, des cordistes nous accueillent avec des chansons et de la bonne ambiance. Puis ils montrent la descente. Des cordes attachés à des rocs, qui permettent de descendre des névés, quasi à pic sur certains passages (la corde sur les névés est recouverte de givre sur toute la longueur et j’ai pas les gants qu’il faut), c’est bien drôle au levé du jour. Bon je chute sur le dos et peine à reprendre ma respiration mais c’est un détail. Puis la redescente se fait plus douce, les cordes disparaissent, et avec elles ma frontale. Je commence à rouméguer et je me dit que je peux pas tout remonter. Je pense à rendre le dossard car sans frontale je passerais pas la fin de course. Quand un compagnon de route me fait comprendre qu’elle est juste à mes pieds, je commence à comprendre que je suis un peu fatigué.
Bref la redescente puis quelques cols après, on arrive à la seconde base de vie au 105e km. Y’a rien a bouffer, c’est pas hyper bien structuré. En fait je comprends que c’est la base de vie-ravito commun avec les petites distances (90 et 60km). Comme c’est les premiers de ces distances qui passent en même temps que moi, je comprends bien que je vais me démerder seul. Dans mon sac de décharge je trouve a manger et un coin pour dormir dans un chapiteau. Je mets 50min sur le minuteur mais j’en dormirais que 30 avant de changer le maillot, les chaussettes et les chaussures. Mes pieds ont bien gonflés heureusement que j’ai pris une paire plus large.
De là on remonte dans une chaleur à peine soutenable, avançant, on se retrouve à flanc de montagne entre 2600 et 2900 m d’altitude pendant quelques dizaines de km. Et l’hécatombe commence. Devant moi le type tombe a quatre pattes, vomi, pleure, derrière le type se met aussi à chialer et devient tout blanc. Je vais voir le secouriste à quelques centaines de mètres de là, réponse ‘fais chier ils vont pas tous pouvoir rentrer dans l’hélico’. Il en avait déjà deux en sale état et un mec qui arrive derrière moi dit qu’il ne peut plus avancer. J’ai moi-même les muscles qui tétanisent bien. C’est dur d’avancer mais on se soutient avec un Aveyronnais et son pacer. Bon j’avance quand même jusqu’à un ravito, après avoir demandé 3 fois à une bénévole si c’est bien par là alors qu’il n’y avait qu’un chemin (j’étais pas frais).
Puis au ravito, je déconne avec les bénévoles, on rigole bien, on se marre, je m’aperçois que j’ai rien bouffé depuis quelques heures. Avant de repartir je demande des nouvelles de papa. Il a rendu le dossard au pleynet hier soir. Je l’appelle, ça me fait du bien, je repars.
La chaleur baisse bien, on perds de l’altitude assez vite dans ces descentes, je me sens de mieux en mieux, euforique, carrément débile, je parle et je dis pleins de conneries à tout le monde, je commence à délirer et a avoir quelques hallucinations. C’est un moment très sympa a vrai dire, que je ne vis que dans ces moments-là, après 30h de course. Je me fais un pote auvergnat de la petite distance, on fait un bout ensemble, puis un savoyard de la très petite distance que je décroche, puis un autre de la petite distance, un mec de franche comté. Je finis par tous les décrochés car j’ai hâte d’arriver et j’ai encore du jus. Dans tout ça il me reste que 20 bornes dont pas mal de descentes.
Puis la nuit tombe, je me dis que je vais pas m’endormir à 10km de la fin, je mets mes écouteurs, je rentre dans ma bulle, j’accélère franchement et je finis un peu hagard mais très content.
Au final je suis 104e/271 arrivants pour 562 partants. Je mange 3 conneries, la douche et au lit. Le lendemain je dois partir tôt pour récupérer ma femme et mes enfants à l’aéroport de Blagnac.
Une très belle course, hors du temps, avec le ciel pour toit, le massif de la chartreuse pour voisin, de la roche pour plancher, quelques maigres traces de civilisation pour mobilier, des petits ruisseaux pour salle de bain et des compagnons de quelques heures pour co-locataires.
J’espère que je vous ai pas ennuyé, à mardi prochain,